Polars : une nuit d’écriture

Le Mercredi 13 avril dernier, Gabriel SCHOETTEL proposait à qui le voulait, amateurs de polars et d’écriture, de se retrouver au caveau de l’hôtel de ville de Marlenheim pour s’adonner à une séance de rédaction. Chacun pouvait assouvir ses fantasmes avec des mots. Suite à quoi tous les participants ont témoigné à Gabriel leur plaisir d’avoir passé ensemble une soirée autour d’une table avec feuilles et stylos.

 

Les consignes communes étaient simples : durant 1 heure environ, chacun devait écrire un récit sur le thème du « polar ». Tout le monde pouvait se poser des questions mutuellement ou solliciter de l’aide de la part des participants. De fil en aiguille, les récits se sont construits selon l’inspiration et l’imagination de chacun. Certains fantaisistes, d’autres réalistes, il n’y avait pas de restriction de ce côté là. Seules contraintes : devoir utiliser une liste de mots établis en communs par les convives eux-memes.

A la suite de l’heure passée, chacun a pu lire son histoire aux autres amateurs d’écritures. Des lectures suivies d’exclamations, d’enthousiasmes, de commentaires et de félicitations. Chacun est reparti avec le sentiment d’avoir passé une vraie soirée de partages et d’attentions.

CONSIGNES : Ecrire une nouvelle policière, en moins de deux heures, en y intégrant : un mort, une tasse de café, un ou des livres, le nombre 13, et les mots suivants : mercredi, magasin, basse-cour, Epinal, hideux, bébé, chien.

Retrouvez ci-dessous les fruits de cette séance qui, nous l’espérons, vous feront sourire, frissonner, réfléchir.. mais surtout qui vous donneront l’envie vous aussi de participer à de prochaines séances d’écritures conviviales.

Badge pour un aller simple

Le vieux chien balourd et pataud, depuis longtemps ne saluait plus ses visiteurs en frétillant de l’arrière train, non il accomplissait benoîtement son travail. Mais la notion de travail, est-ce un concept bien réel pour la gent canine ? Celui-ci malgré son âge vénérable avait la réputation de disposer un flair extraordinaire doublé d’une vive intelligence. Accomplissant sa mission à la recherche de substances illicite il reniflait les bagages de l’aéroport dans un sous-sol crasseux. Sur le tapis roulant défilaient les bagages les plus divers, luxueuses valises, cantines métalliques et cartons ficelés à la diable et éventrés d’où s’échappaient, hideux, des effets défraîchis que les voyages et les manipulations brutales des manutentionnaires ont transformés en loques infâmes.

Ce mercredi tout allait de travers, déjà treize arrêts intempestifs de la chaîne de transport, le dernier juste pendant que le maître et le chien s’étaient absentés. L’ancien sauveteur selon son rituel bien établi s’était attablé devant une tasse de café offrant une petite pause olfactive à son compagnon. Secrètement amoureux de la serveuse, en se penchant pour lui susurrer quelques compliments à l’oreille il fit dégringoler une pile de livres au grand dam de la demoiselle obligée de tout remettre d’aplomb.

De retour à son poste, il suffit d’une petite tape sur l’oreille du limier et quelques mots d’encouragement pour remettre celui-ci au travail. « Rien à signaler ? Pas de colis suspect ? »
Apparemment rien n’a titillé la truffe sensible du vieux malinois, les trafiquants en tous genres se tiendraient-ils à l’écart de cette bonne ville de Genève ?
Dans un encoignure, à une dizaine de mètres un assemblage de cartons, sous une affiche vantant les grands magasins d’Épinal faisait depuis quelques instants frémir les cellules sensibles de la truffe du chien. Secouant un peu la tête il analysa très ténu un fumet de basse-cour un peu faisandée.
Intrigué il délaissa sa mission initiale pour remonter vers la source de cette odeur. Son maître assez mécontent, encore obnubilé par sa mésaventure face à la jolie serveuse, fit quelques pas pour le rattraper et le ramener à sa mission, source de croquettes premier choix.

L’odorat humain est bien moins sensible mais en approchant ses narines furent aussi agressées par une vibration particulière. Immédiatement le souvenir d’opérations de recherches de victimes de catastrophes frappa son esprit. Oui ce relent désagréable, à mesure qu’il se rapprochait du tas de cartons lui suggérait cette image de victimes ensevelies sous les décombres de maisons écroulées.
Il lui fallut une demi heure pour déblayer avec d’infinies précautions les emballages cartonnés, ceux-ci avaient été savamment assemblés, chaque couche s’imbriquant dans la suivante pour former un abri solide. A mesure de l’avancement des travaux la puanteur se fit plus prononcée lui faisant redouter d’avance ce qu’il allait trouver.

Le mort n’était pas dans cet état depuis très longtemps, encore qu’avec la fraîcheur des lieux et les courants d’air ce ne soit pas une certitude absolue. Sur son visage émacié un sourire béat découvrait ses dents jaunies, ses yeux grands ouverts contemplaient un autre monde, bien meilleur parait il.
Avec l’arrivée des forces de police naquit un tourbillon d’uniformes de civils portant brassard, d’hommes et femmes en blouse blanche. Parmi eux un photographe flashait à tout va ne délaissant pas le moindre pouce carré, sa caméra semblait douée d’une vie propre jetant tel un dieu en colère des éclairs enragés. Les scientifiques en leur fort intérieur agonisaient de malédictions ce fâcheux gabelou soi disant ancien sauveteur de la sécurité civile, il leur avait proprement salopé leur scène de crime ! Oui !
La légiste qui venait de reprendre son activité parmi les morts alors qu’elle venait récemment de mettre au monde son premier bébé avait du mal à réprimer quelques haut le cœur. Bienvenue dans la réalité des hommes lui soufflait son subconscient.
Approfondissant son examen une hypothèse commença à germer : la victime était probablement morte d’éthylisme ce que les analyses post mortem confirmeront sans doute.
Employé sur le site car il est porteur d’un badge d’accès, il avait sans doute fabriqué son discret abri « anti alcoolique » pour y cuver tranquillement à la suite de ses beuveries laissant ses collègues assumer sa part de travail.
« Hélas pour lui sa dernière beuverie ne s’est pas soldée par une solide gueule de bois au réveil..  Il a du se pochtronner une fois de trop et ne s’est pas remis de sa saoulographie c’est très probablement la cause du décès » dit elle au substitut du procureur penché au dessus de la victime.
Ce dernier acquiesce un long moment mais reprend l’air pensif : « Son badge ….Ce monsieur a bien été signalé présent mais pourquoi personne ne s’est il inquiété de sa disparition ? »

GK

Meurtre au Salon du Livre

Faire sa première enquête dans ce nouveau secteur pendant un salon du livre spécialement consacré aux polars, on aurait pu croire à de l’ironie mais c’est pourtant comme ça que j’ai démarré ici.

J’avais reçu mon affectation il y a deux mois et l’avais fêtée dignement. Vingt ans que j’étais gendarme dans cette pseudo zone rurale tellement proche de Strasbourg qu’elle en avait tous les défauts : entre trafics de drogue, rixes diverses et vols à la tire dans tous les magasins du coin, je rêvais de ce que je voyais presque comme une retraite !

Mon premier jour dans ce nouveau poste était un mercredi. Quand je suis arrivé de Strasbourg et que j’ai vu devant moi l’image d’Epinal que m’offrait ce charmant village, niché dans un creux, entouré de collines couvertes de vignes, je me suis senti serein. Que pouvait-il m’arriver ici ?

J’eus la réponse très rapidement car je fus confronté à mon premier meurtre rural trois jours plus tard. En ce samedi matin, la responsable de la médiathèque était arrivée la première, vers huit heures, pour ouvrir les portes du salon du livre. A peine avait-elle franchi le sas d’entrée qu’elle poussa un hurlement de terreur.

Quand elle avait quitté la salle la veille, tout était bien en place, chaque livre savamment disposé devant la chaise où siègerait son auteur quelques heures plus tard. Mais maintenant tout n’était que désordre. Les œuvres gisaient au sol. Tout avait été renversé, déchiré, jeté. Et Martin V., l’auteur le plus en vue du salon, l’alsacien qui avait percé à Paris, était assis au milieu de tout ce fatras.

Ses yeux révulsés, sa tête penchée selon un angle invraisemblable, le filet de bave qui coulait de sa bouche et la trace sur son cou ne laissaient aucun doute sur son état. De la poche de sa chemise dépassait une carte de jeu. C’était un as de cœur. A côté des chiffres un, on avait ajouté des trois.

Madame C., responsable de la médiathèque, avait tant bien que mal réussi à sortir son portable de son sac, non sans avoir, dans la panique, préalablement renversé tout le contenu de celui-ci, histoire de rajouter un peu au désordre ambiant.

Une heure plus tard, je me tenais à ses côtés, observant d’un œil interdit cette étrange scène de crime. La première chose que j’avais demandée en arrivant était du café. Je sirotais avec plaisir le chaud breuvage, laissant la caféine traverser mon corps et réussir tout doucement à mettre mon cerveau suffisamment en éveil pour comprendre ce qui passait ici. J’observai avec intérêt la tasse pour le moins originale que l’on m’avait offerte. Elle était sérigraphiée aux couleurs du salon du livre d’un côté et de l’autre, une ombre en forme de Sherlock Holmes semblait relever encore plus l’ironie de la situation et ne manqua pas de me faire sourire.

Entre temps, tous les auteurs et officiels étaient arrivés. Le lieu était devenu une vraie basse-cour. Cela piaillait dans tous les coins. Mes collègues tentaient malgré tout de relever des indices, prenaient des photos et s’apprêtaient à éloigner le cadavre de tous ces yeux avides. J’aurais volontiers mis tout le monde dehors sans ménagement mais je savais que j’avais besoin d’eux. Le coupable se tenait probablement parmi cette foule. Je les entendais déjà formuler des hypothèses.

Je fis un détour par la cuisine, remplis à nouveau ma tasse et déambulai tranquillement parmi ce petit monde.

Le maire et mon supérieur avaient bien sûr immédiatement décidé de l’annulation du salon, au moins pour aujourd’hui mais ceux qui auraient dû en être le cœur, s’affairaient à rendre à la salle l’aspect qu’elle aurait dû avoir. On ramassait les livres, on remettait en place les présentoirs, on réinstallait les affiches. Certains pleuraient. Je n’aurais pas su dire si c’était sur la perte de leurs livres ou sur la mort de l’un d’entre eux.

Je n’aimais pas les auteurs de polars. Ils s’évertuaient toujours à rendre leurs flics cyniques, hideux ou imbus de leur personne, au choix. A part peut-être Harlan Coben, dont le héros m’était fort sympathique et m’amusait beaucoup.

Je les écoutai malgré tout. J’en interrogeai certains. Une jolie jeune femme blonde, son bébé dans les bras, me raconta que la plupart des auteurs du salon auraient pu être coupables. Martin V. avait signé l’an dernier un énorme contrat d’édition avec une grande maison parisienne et vendu plus de cent mille exemplaires de son dernier roman, ce qui en rendait plus d’un envieux.

J’avais récupéré sur le corps, la carte de jeu et l’avais glissée dans une petite pochette en plastique. Je la lui montrai en lui demandant si elle avait une idée de ce que ces as devenus treize pouvaient signifier. Elle secoua négativement la tête. J’avais l’impression que la jalousie suintait par tous les pores de sa peau. Etait-elle satisfaite de la mort de Martin V. ? Que lui apportait-elle, si ce n’était la satisfaction de savoir qu’il ne publierait plus de livre ?

Je continuai d’interroger d’autres auteurs. Je parlai au maire, aux organisateurs. Tous avaient le même discours. Martin V. était une personne aussi brillante que désagréable. Il était méprisant, hautain mais il vendait beaucoup de livres. Les éditeurs et le public l’aimaient. Ceux qui l’avaient rencontré, l’exécraient.

Je demandai à celle qui avait découvert le corps d’essayer de revoir tout ce qu’elle avait vu, de se souvenir d’un détail. Entre deux larmes, elle essaya de se concentrer. Il lui revint soudain à l’esprit qu’elle avait entendu, ou cru entendre, précisa-t-elle, une porte claquer au moment où elle était entrée.

Elle me montra les différents points d’accès à la salle. Nous passâmes plusieurs portes. L’une des sorties de secours était mal fermée. Elle me confirma que ce n’était pas normal. J’appelai mes collègues en renfort et nous nous concentrâmes sur cet accès.

Je fis quelques pas vers la rivière qui s’écoulait en contrebas. Il avait plu la nuit précédente et je trouvai rapidement d’étranges traces. Elles ressemblaient aux empreintes d’un chien mais quelque chose me gênait.

Le maire qui m’avait suivi me demanda ce qui me laissait si perplexe. Je lui montrai les traces. Nous étions tous deux accroupis, observant bêtement le sol. Quand je relevai les yeux, j’aperçus de l’autre côté de la rivière, un homme qui promenait son chien. L’animal avait une démarche hésitante. Je remarquai qu’il n’avait que trois pattes. C’est cela qui expliquait l’étrangeté des traces que j’avais sous les yeux !

Le maire suivit mon regard et tomba à la renverse, s’écrasant de tout son poids sur ses fesses trop grasses des excès que lui amenait la mairie.

Je l’interrogeai et il lança :

Mais bien sûr ! Vous venez de résoudre deux enquêtes en un regard. Il y a trois mois, un vendredi treize, un chauffard a renversé le chien de Monsieur M. et l’a laissé sur trois pattes. On avait bien soupçonné Martin V. vu les traces sur sa voiture mais il a toujours nié. Je crois qu’on vient d’avoir la preuve de sa culpabilité !

Estelle Le Goff

Le mystère de la basse-cour

Ah ! Il n’était pas beau à voir, le papy, allongé au milieu de la basse-cour : déjà les poules les plus hardies commençaient à lui picorer les yeux, d’autres s’attaquaient aux lèvres bleuies, tandis que le coq avançait triomphalement sur le corps immobile.

– Tu parles d’une image d’Epinal ! maugréa le maréchal des logis-chef Pinard à l’adresse de la jeune gendarmette qu’il était chargé d’instruire.

Celle-ci serrait les dents pour s’empêcher de vomir sur le papy. Son premier mort : elle était servie !

– Vous… vous avez… une hypothèse ? Articula-t-elle avec difficulté.

Pinard se rengorgea. Il ne savait pas ce qui avait pu arriver au papy, mais il savait déjà ce qui ne lui était pas arrivé. Pas d’impact de balle, pas de plaie ouverte, pas de trace de strangulation. De la bru qui sanglotait dans la cuisine, et qui avait appelé la gendarmerie, il avait juste appris qu’elle avait trouvé le cadavre de son beau-père en rentrant du magasin où elle travaillait comme tous les mercredis.

– Et qu’est-ce qu’il faisait dans la basse-cour, d’après vous ? lui avait-il demandé sévèrement.
– Mais je ne sais pas, moi ! En général, il ne bouge pas de son fauteuil, là-haut dans le salon. Il devait d’ailleurs être en train de lire quand quelque chose l’a dérangé et l’a poussé à descendre !
– Quelque chose… ou quelqu’un ! avait finement insinué le gendarme pour montrer à la gendarmette qu’il fallait faire mouliner ses méninges si on voulait faire carrière dans la maréchaussée.

La bru avait ouvert grand la bouche, qu’elle avait fort édentée, comme pour repousser avec force toute idée accusatrice qui aurait pu germer dans la tête du gendarme. Celui-ci avait repris, juste assez soupçonneux pour continuer à maintenir une certaine pression sur le seul témoin dont il disposait pour l’instant.

– Qu’est-ce qui vous fait penser qu’il a pu être dérangé ?
– Sa tasse de café était renversée à côté de lui ! Ça a fait une grosse tache sur le tapis. Et le livre qu’il lisait gisait à côté !

Elle ne lui plaisait pas, la bru, au maréchal des logis-chef Pinard, mais alors pas du tout : trop geignarde, et en même temps trop précise dans ses réponses. Vingt ans dans la gendarmerie lui avaient appris à se méfier des réponses calibrées. Il décida de jouer le tout pour le tout : c’était le moment de montrer à la petite gendarmette, qui commençait à claquer des dents, comment on pouvait précipiter une enquête sans s’encombrer des lourdeurs des procédures réglementaires. Celles-ci, on arriverait toujours à les reconstituer après coup. Là, il s’agissait d’immédiatement faire manger le morceau à celle qui avait certainement tué son beau-père !

– Allez, vous allez m’expliquer tout ça à la gendarmerie !

Il s’était efforcé d’énoncer cela de la manière la plus neutre et l’effet ne s’était pas fait attendre : la bru s’était effondrée. Elle était mûre !

Pendant que les deux gendarmes et le belle-fille du papy roulaient vers la gendarmerie, une chienne de race indéterminée léchait, dans un coin de la basse-cour, son bébé préféré : c’était le dernier d’une portée de treize, il était hideux, avec une tache blanche autour de l’oeil droit, une tache noire autour du gauche, la queue tordue, et il jappait de manière ridicule. Il est vrai que le papy avait trébuché sur lui lorsque le chiot était venu le déranger, là-haut, pendant qu’il lisait. La tasse de café et le livre étaient tombés. De colère, le papy s’était levé, et avait poursuivi le chiot, terrorisé. Heureusement, arrivé au milieu de la cour, le vieux saligaud s’était écroulé, terrassé par une crise cardiaque, et le chiot avait pu rejoindre sa mère : tout était bien qui finissait bien !

Gabriel SCHOETTEL

 

Fait d’Hiver

« Maman ! Papa ! » cria la petite, « Maman ! Papa ! » criait-elle en boucle. Les parents sursautèrent en sortant brutalement de leur sommeil. Sa mère l’a prie dans ses bras mais Lisa ne se calmait pas, elle était terrorisée. La mère questionne pour comprendre la raison de son effroi. Ce n’est qu’après de longues minutes, ponctuées de sanglots, que l’enfant livra quelques mots « j’ai entendu des bruits, y a un méchant en bas ». Le père prêta l’oreille tandis que la mère lui donnait un coup de coude « y a rien, y en a marre que nous réveilles tous les soirs, faut plus qu’elle regarde les infos la gamine, tu vois le résultats ! » La mère se leva pour raccompagner sa fille tandis que le père se rendormait déjà. La cafetière siffla dans la cuisine, marquant le début du rituel matinal. Le visage de Lisa portait encore les marques de la sale nuit passée. Le clocher sonna moins le quart, il était temps pour chacun de prendre le départ. Alors qu’elles passaient devant la maison de la voisine, Lisa remarqua que la porte d’entrée était entrouverte et les marches du perron couvertes de traces boueuses. Sa mère, pressant le pas, tira le bras de la petite fille et les voici déjà devant la grille de l’école. Les cris de joies de ses camarades dissipèrent toutes les angoisses de la fillette. Quelques minutes plus tard, ce n’est pas la sonnerie qui retentit mais la sirène du véhicule de gendarmerie qui traversait les rues d’Epinal. Les gens sortirent de leur maison, les commerçants de leur magasin et tous convergèrent vers la demeure de la Huguette, la voisine de Lisa.

Un gendarme barrait le chemin aux curieux, pendant que ses confrères restaient pétrifiés devant la scène hideuse qu’ils découvraient. Huguette gisait dans la mare de son propre sang. son bébé affamé hurlait dans son couffin et le chien grognait en direction des uniformes. De nombreux indices ne laissaient aucun doute sur le déroulement du drame : des empreintes de pas boueux traversaient la cuisine de part en part. La porte arrière était elle aussi ouverte et laissait apercevoir le trajet emprunté. On pouvait voir à nouveau dans la basse-cour ces mêmes marques de crampons, typiques des bottes en caoutchouc. La capitaine Perrin se dit qu’il était temps d’appeler le préfet pour qu’il puisse engager la procédure de relevés d’empreintes. Les experts scientifiques devaient venir depuis Metz et Perrin se rendit compte que pendant tout ce temps il lui faudrait gérer l’attroupement qui s’était formé devant la maison, sans compter le bébé affamé. Les gars du bistrot commençait déjà à propager des rumeurs issues de réflexions aussi incertaines qu’émient avec aplomb.

La petite Lisa rangea ses livres dans son cartable avant de suivre le groupe à la cantine jusqu’à 13 heures. Ensuite elle pourrait rentrer avec ses copines qui la questionnaient déjà sur sa voisine. Depuis la récré, toute l’école était au courant du drame qui venait de frapper le « Quartier du Mercredi » Lisa n’en savait pas plus, pourtant au fur et à mesure des images commencèrent à apparaitre au fond d’un semi-sommeil. « Lisa » cria la maitresse. Elle émergea sans savoir le sujet de ce rappel mais elle compris que c’était sa distraction qui en était la cause. Pourtant elle voulait retourner dans ses songes car elle tenait une piste. Les bouseux, c’est malheureux, mais c’est inspirant.

Antique zone 13

Le temps était printanier ce mercredi, et le campus vide en cette période de vacances. Pourtant Al était en retard, toujours trop de monde devant la machine à café. A l’Institut d’écologie de la Vie et de la Terre, pas foutu de mettre des gobelets en carton. Encore moins une tasse à café en magasin, que du jus infâme dans un gobelet en polyurémachinchouette. Et la perspective de la conférence de l’Université du temps libre ne l’enchantait pas. Passage obligé à Strasbourg, avait dit le chef. Le sujet : les fouilles récentes à Koenigshoffen, dont Al avait la charge.

Il était une humeur de chien, cette crève, pas de voix, et pas trop de temps déjà pour exploiter le matériel des fouilles de prévention. Encore heureux que le pôle rhénan de l’architecture ait pu négocier leur organisation dans la fièvre bétonneuse actuelle. Des programmes d’architecture hideux poussaient partout sur le sol strasbourgeois, de la Cus, pardon, le nouveau bébé, l’Eurométropole.
L’amphi Charles Le Bel était aux ¾ plein. Des retraités strasbourgeois retrouvaient leurs souvenirs dans la pénombre et sur les tables patinées. La chercheuse en charge des sépultures était déjà là, impeccable, belle petite minette, lunettes sévères, jupe sérieuse mais de jolies jambes. Enfin une collègue sans jeans. L’autre chercheuse, plus jeune, encore dans les rondeurs de l’enfance, un teint de bébé, des cheveux roux attachés.

Al attaque la première partie, un peu de mal à trouver ses mots, la bouche sèche, cette fichue grippe, ah ce climat alsacien. Les 1700m2 de chantier, dans le faubourg d’Argentoratum, non loin du camp, le plan masse, le graffiti des parcelles de recherche. Puis la chercheuse décrit, tranquille, précise, l’allée des stèles sur un rang bordant les deux côtés de la route des Romains, les sépultures, les rites funéraires, bien dans son sujet. La plus jeune femme fait revivre l’habitat, la vie quotidienne, les maisons, les ateliers. Ca roule, les questions viennent, oui, uniquement des vestiges romains, oui, uniquement la Deuxième Légion, ou des vétérans. Oui, le béton romain existe, non rien de gaulois. Les stèles des campagnes précédentes sont bien dans le musée. Pourquoi au 13ème rang ce monsieur s’y attarde, revient sur ces fouilles de l’Université au début du siècle, du Pr… quel nom ? Impossible de le mémoriser, un nom allemand à rallonge.
Le lendemain Al se dirige vers le chantier, pas beaucoup plus frais. Drôle d’ambiance ce matin. On n’entend pas les pelleteuses. Miss lunettes rondes est là, a troqué son tailleur contre la salopette de chantier. Mais a l’air encore plus austère que d’habitude.
-On a levé différentes stèles, dit-elle. Il y a les vases ossuaires, et de jolies pièces, une tombe intéressante, avec un squelette d’enfant qui…Enfin ce n’est pas la question. On a un problème. La parcelle 13. Deux squelettes dans la même fosse.

Al lève les yeux au ciel, les nuages s’effilochent, il se rend compte du silence.
–Où est le problème ?
La jeune femme répond lentement :
– M. Hepin, Al, si je peux me permettre : ce sont des tombes romaines, du 1er siècle, 1 par tombe, en général une crémation, cette tombe n’est pas normale. Voyez vous-même : cette fosse, dans la parcelle 13, ne ressemble à aucune autre, on ne s’attend pas à ça. Al Hépin, venez, j’ai des choses à discuter avec vous.
Al suit la jeune femme le long de l’allée de gravier enjambe les quadrilatères des fouilles, monte dans le mobil home staff bureau cuisine.
– Hier, ce monsieur, au 13ème rang de l’amphi..
– ah oui, le spécialiste de l’archéologie entre les deux guerres ?
– oui c’est cela
(Une idée, ou elle a la voix un peu étranglée ?) Elle reprend :
Il m’a parlé (vous êtes parti si vite après la conférence) de magasin d’antiquités, d’inventaires, de disparition de pièces, de moulages d’après copies originales, de publications et de catalogues tronqués. Je n’arrivais plus à l‘arrêter
-Oui et alors ? Cela ne fait pas longtemps que je suis à Strasbourg, mais ici comme partout, il y a la même basse-cour, les mêmes prises de bec, les mêmes bouffées d’ambition et de course au temps et à la publication. Ecoutez, cela fait 13 semaines que nous sommes là, le chantier s’achève, tout sera bientôt recouvert.
– Je veux vous montrer cela : cette parcelle 13 est voisine de la zone précédente de fouilles….
– Quelles fouilles précédentes? dit Al, mais une voix intérieure lui souffle la réponse, et aussi qu’à côté des ennuis qui s’annoncent, la journée d’hier était un rêve. Et le mal de crâne qui recommence, un peu de café froid dans une tasse, avec du sucre fondu. De loin, il entend ce qu’il ne voulait pas voir : un des squelettes est pratiquement contemporain, début du siècle dernier, le paléopathologue a jeté un œil, il est formel, forcément les travaux dentaires, de la belle et solide dentisterie allemande.
Miss lunettes rondes poursuit
– J’ai prévenu le secrétaire de l’Université, vous devez le rappeler.
Elle descend l’escalier, un peu vite. Al la voit sortir du chantier, 1 taxi, non mais elle est folle, on n’a pas le budget. Au bout du fil, la voix du président de l’Université, oui c’est ennuyeux, mais les services et les autorités sont au courant, on s’en occupe, restez discret, concentré, le travail doit continuer. Oui bien sûr, mais avec quel directeur de fouilles ? Miss lunettes rondes est introuvable, l’après midi s’avance. Ah un SMS vibre au fond de la poche, rv au café Brandt.

Décidément elle aime les trucs de vieux, pense Al. La silhouette de l’université se découpe dans l’air du soir, le café brille, là l’intérieur es mêmes têtes chenues, mais plus bourges qu’à l’ITL, se dit Al, en la cherchant des yeux. Miss lunette rondes est assise au fond de la salle, et Al se fraie un chemin entre les garçons de café en tablier noir et plateaux de tasses de café à bout de bras
Elle attaque : vous ne m’avez jamais appelé par mon nom, trop compliqué, n’est –ce –pas ? je m’appelle Yesine von zu Trostelheimforst. Je travaille au service des Antiquités depuis plusieurs années. Mon grand père était doyen de la Reichsuniversität, peu de temps après sa fondation, au tournant du siècle. Il a brutalement disparu, plus personne n’a eu de nouvelles. Le vieil homme de l’amphi, hier, m’avait l’air de savoir beaucoup sur cette époque. Il m’a parlé des fouilles de cette zone 13, je savais alors ce que j’allais trouver. Je sais aussi la raison de cette mort.
Al était fasciné, ce n’était plus cette chercheuse à la tête froide et au timbre précis de la veille, mais une jeune femme fébrile, et aux mots entrechoqués. Ce qu’elle racontait, c’est un trafic d’antiquités organisé, et la mort d’un témoin gênant, et le silence de l’université pour cacher cette histoire, et puis l’oubli.
Al se sentait de plus en plus las, de plus en plus groggy, par le virus printanier
La suite serait : quel est l’affreux assassin ? qu’est –il devenu ?

Caroline STENGER

Paraskevidékatriaphobe

Je ne suis pas paraskevidékatriaphobe, je n’ai pas peur du vendredi 13. Mais aujourd’hui, mercredi 13 avril, j’ai comme une intuition, que va t’il se passer ?

En traversant une rue à Epinal, je me retrouve nez à nez avec un énorme chien hideux, une bête féroce, un molosse impressionnant. Je vois sa grande gueule ouverte et ses crocs bien aiguisés prêts à me mordre. Je cours me réfugier au café d’en face pour boire, que dis-je, pour déguster une délicieuse tasse de café expresso et surtout pour me remettre de mes émotions, voire de ma grosse frayeur. Cet arôme envoûtant me transporte très loin dans la basse-cour de mon enfance. Loin de toute réalité, sur un petit nuage, je rêve et je suis dans une sorte d’extase après ce moment de panique indescriptible. Je revois mon enfance heureuse où je fus choyée par mes parents, mes grands-parents, au milieu des poules, coqs, canards…

Une enfance sans souci avec Milou, mon chien adoré et Cannelle ma douce chatte.
Soudain un hurlement effroyable retentit :
– Mon bébé, on m’a volé mon bébé.

La maman bouleversée quitte le café en courant. Dehors  on entend crier :
– C’est un homme, il est parti avec le bébé.

Avant de rentrer chez moi, je m’arrête dans une librairie pour acheter un Agatha Christie. Je vais me replonger dans un roman policier avec ses intrigues rocambolesques et ses dénouements imprévisibles. La porte du magasin s’ouvre et deux gendarmes y font irruption. Ils me questionnent :
– Vous êtes témoin du kidnapping du bébé ? Qu’avez-vous vu ?

Ma description reste floue. J’ai entendu le cri poignant de cette maman affolée. En sortant de la librairie, j’aperçois un homme allongé sur la route. Il est inconscient. Il est couché dans une mare  de sang. Un attroupement se forme. J’entends dire que c’est la voiture du voleur de l’enfant, qui, dans sa fuite, a renversé le malheureux. Une information circule :
– Il est mort !

Il est 22 heures. Je vais passer une mauvaise nuit. Des questions foisonnent dans ma tête :
– Quel est le projet de cet homme qui a enlevé le bébé? Retrouvera – t’on le bébé ? Et l’homme mort ?…

Ce mercredi 13 restera un jour que je n’oublierai jamais. J’entends encore les cris stridents de la mère éplorée, affolée.  Et je vois cet homme mort gisant dans son sang.  Finalement, je crois que je suis paraskevidékatriaphobe, non du vendredi, mais du mercredi 13.

Rose  Grosjean