D’août à novembre 2010, le Pôle d’Archéologie Interdépartemental Rhénan (PAIR) a réalisé des fouilles archéologiques à Odratzheim, au lieu-dit « Sandgrube », qui ont mis au jour une importante nécropole du haut Moyen Âge. Les plus anciennes tombes datent de l’époque mérovingienne (fin du 5ème siècle après J.-C.), les plus récentes de l’époque carolingienne (8ème-9ème siècles). Cette période, marquée par l’arrivée des populations germaniques en Alsace, les débuts du christianisme, la formation des villages et des paroisses actuelles, est fondamentale pour la compréhension de l’histoire de notre territoire.
Pourquoi des fouilles à Odratzheim ?
Cette opération a été menée en préalable à la construction d’un lotissement d’habitations par la société SA Concept, dans le cadre de l’archéologie préventive. Un diagnostic archéologique a confirmé la présence d’une nécropole du haut Moyen Âge. Cette nécropole était connue depuis longtemps : au 19ème siècle déjà, alors que ces terrains servaient de carrière de lœss, quelques tombes avaient été mises au jour, mais sans qu’aucune étude n’ait été réalisée. Une fouille préventive a donc été prescrite sur une superficie d’environ 5000 m2. Au total, ce sont 145 sépultures qui ont été découvertes. Les limites de cet espace funéraire n’ont pas été trouvées, ce qui signifie que la nécropole est beaucoup plus vaste que la « fenêtre » qui a été fouillée.
Qui étaient les habitants d’Odratzheim au haut Moyen Âge ?
L’étude des tombes et des squelettes offre de précieuses informations sur les personnes inhumées (âge, sexe, pathologies…), mais aussi sur ceux qui les ont enterrées (rites et coutumes funéraires). Les vestiges découverts à Odratzheim ont été minutieusement fouillés, puis les informations ont été relevées grâce à des photos, des dessins et une description précise. La place de chaque ossement ou objet est importante, car elle donne des indices sur la manière dont a été enterrée la personne. La présence d’éléments aujourd’hui disparus comme un linceul, des chaussures ou encore un cercueil peut se lire dans l’organisation des ossements. Les squelettes ont été ensuite soigneusement prélevés, nettoyés et étudiés en laboratoire par un spécialiste, l’archéo-anthropologue, qui détermine le sexe et l’âge au décès, et qui identifie certaines maladies qui auraient pu laisser des traces sur les os. À Odratzheim, les résultats de ces études montrent que la courbe de mortalité de cette population est élevée, mais tout à fait normale pour une société dite «préjennérienne» c’est-à-dire qui ne dispose pas de vaccin. La répartition entre les hommes et les femmes correspond également aux statistiques habituelles. La taille moyenne des individus était de 1,60 m pour les femmes et 1,72 m pour les hommes : contrairement à ce qu’on pourrait croire, elle est très proche des moyennes françaises actuelles (1,63 m et 1,73 m en 2007). L’étude des pathologies révèle en revanche un environnement de vie assez défavorable. De nombreuses lésions de type arthrose ont été mises en évidence et témoignent d’une sollicitation physique importante. On remarque d’ailleurs qu’elles sont localisées différemment en fonction du sexe des individus (membres supérieurs pour les hommes, bassin et vertèbres cervicales pour les femmes), ce qui suggère une répartition marquée des activités quotidiennes. Les fractures sont fréquentes ; elles sont reconsolidées, mais pas réduites : cela traduit un accès aux soins globalement difficile. Enfin, trois sujets présentent les signes d’une possible tréponématose (syphilis). Si les analyses confirment cette hypothèse, il s’agirait du premier cas de cette maladie sur le continent européen avant le 15ème siècle.
Cliquez sur les images pour agrandir les photos © PAIR
Une nécropole du haut Moyen Âge
Comment enterrait-on les morts à cette époque ?
Le haut Moyen Âge est une époque où on pratique «l’inhumation habillée» : les individus sont enterrés avec des parures, des objets, des armes, des offrandes… qui diffèrent selon le sexe. Les femmes sont parées de bijoux : colliers en perles d’ambre et de pâte de verre très colorés, boucles d’oreille, bagues, fibules. Elles portent des châtelaines, qui sont des liens suspendus à la taille et servant à accrocher divers objets décoratifs ou utilitaires : couteau, perles, anneaux, pendeloques diverses, monnaies percées, clés, fusaïoles… Les hommes sont enterrés avec des armes : épées longues, grands couteaux à un seul tranchant typiques de cette période et appelés « scramasaxes », pointe de lance et de flèche, boucliers en bois dont il ne reste que la partie centrale en métal. Ils portent à la ceinture des aumônières, petits sacs contenant divers objets décoratifs, utilitaires voire symboliques : couteau, pinces à épiler, briquets et silex, monnaies percées, poinçons…
Certains éléments sont mixtes et se retrouvent dans les tombes féminines comme masculines : des boucles de ceinture parfois très décorées, des peignes en os, diverses petites boucles de vêtements ou de chaussures. Les offrandes sont fréquentes : vases en céramique, récipients en verre ou en matériaux périssables (bois, vannerie) dont on devine l’existence malgré leur disparition. Les restes animaux (ossements, coquilles d’œuf, arêtes de poissons) témoignent quant à eux du dépôt d’offrandes sous forme alimentaire. Plus rare, la découverte à Odratzheim d’une tombe contenant deux chevaux renvoie à la coutume germanique d’offrir au défunt un « accompagnement ».
À quoi ressemblait une nécropole ? À cette époque, les sépultures sont toutes placées dans le sens est-ouest (tête toujours à l’ouest). Elles peuvent avoir différentes formes. La plus simple est un cercueil de bois placé dans une fosse creusée en pleine terre. Une forme fréquente à l’époque mérovingienne et plus élaborée est la chambre funéraire. Il s’agit d’une grande fosse rectangulaire dont les parois sont coffrées de planches de bois. Le cercueil contenant le défunt est déposé dans la moitié nord, tandis que la moitié sud est réservée aux offrandes. Quelques sépultures en coffre de pierre ont également été mises au jour. Cette tradition est typique du piémont vosgien où l’approvisionnement en pierre est plus aisé.
Quelle signalisation visuelle sur les tombes?
Cette question est délicate car le niveau du sol de l’époque devait être très proche de celui d’aujourd’hui et tous les éléments de surface ont disparu. Pourtant, on observe que les sépultures ne se chevauchent jamais, bien que des inhumations aient eu lieu pendant plus de 300 ans. Il existait donc bien une signalisation indiquant la présence d’une sépulture à un endroit donné. Un autre indice est la présence de fossés circulaires entourant certaines tombes. Ce sont les vestiges de grands dômes de terre, appelés «tertres» ou «tumulus», qui surmontaient les sépultures et leur donnaient plus de visibilité. L’interprétation de ces tumulus n’est cependant pas encore validée (symbole de richesse, de statut social particulier ?). Lors de la fouille, le contenu de certaines sépultures s’est révélé complètement perturbé : les ossements étaient dispersés dans la sépulture ou n’étaient plus à une place anatomiquement correcte. Ces tombes ont été victimes d’actes de pillage. Il s’agit d’un phénomène fréquent à l’époque mérovingienne : dans un temps plus ou moins proche de l’enterrement, les tombes sont réouvertes par des pilleurs qui viennent probablement voler les objets accompagnant le défunt.
Une des plus importantes nécropoles du Bas-Rhin
La nécropole découverte à Odratzheim fait partie des trois plus grandes nécropoles connues aujourd’hui dans le Bas-Rhin. Son étude a fourni des résultats remarquables, faisant progresser notre connaissance du peuplement de l’Alsace au haut Moyen Âge.
Agnieszka KOZIOL Archéologue au PAIR, responsable scientifique de l’opération
Pour en savoir plus…
Vous pouvez consulter le site du Pôle d’Archéologie Interdépartemental Rhénan où vous trouverez un reportage vidéo sur les fouilles réalisées à Odratzheim, ainsi que des informations sur toutes ces activités.
Le Pôle d’Archéologie Interdépartemental Rhénan (PAIR)
Créé en 2006, le Pôle d’Archéologie Interdépartemental Rhénan (PAIR) est un service d’archéologie associant les ressources des conseils généraux du Bas-Rhin et du Haut-Rhin. Implanté à Sélestat, en Centre-Alsace, il répond concrètement aux enjeux croisés de la conservation du patrimoine et de l’aménagement de l’ensemble du territoire alsacien. Structure polyvalente, le PAIR a pour principaux champs d’action la réalisation d’opérations d’archéologie préventive, la conservation et la valorisation du patrimoine archéologique, mais également la formation et la transmission des connaissances aux chercheurs et aux publics.
Un habitat du début de l’âge du Fer (Hallstatt C-D1)
et une occupation mérovingienne
Diagnostic Rapport 2011
ODRATZHEIM, Lotissement Hinter den Garten (tranches 1 et 2)
Le diagnostic archéologique réalisé à Odratzheim « Hinter den Garten » a permis de reconnaître une occupation assez dense de ces terrains, situés en périphérie immédiate du village actuel. Deux phases principales ont été identifiées. Le site est occupé dès le début de l’âge du Fer : des structures liées à un habitat (fosses et silos principalement) apparaissent dans la partie est des terrains sondés. Elles ont livré du mobilier céramique qui a fourni une datation du Hallstatt C-D1 (800-525 av. J.-C.).
Des structures similaires ont été attribuées à la Protohistoire sans précision par manque de mobilier datant. Elles sont peut-être à rattacher à cette même phase d’occupation, au même titre que certaines structures non datées. Les comblements des structures présentent un aspect très charbonneux et livrent des rejets domestiques (céramique, faune), témoignant de l’utilisation de ces terrains comme zone domestique. À l’ouest de l’emprise, l’occupation se présente sous une forme différente. Les structures semblent réparties de manière plus lâche et se composent de dix fosses circulaires, dont deux ont été attestées comme étant des silos. La majorité n’a pas été datée, sauf l’une d’entre elles qui est attribuée à une époque protohistorique indéterminée. Malgré la vision partielle donnée par le diagnostic, l’hypothèse d’une zone d’ensilage est envisagée. Si ces deux zones – domestique et ensilage – se révèlent contemporaines, le potentiel en termes d’analyse spatiale devient intéressant : ce site peut refléter la spécialisation progressive des espaces qui se met en place au cours de l’âge du Fer, témoignant des changements économiques et sociaux de cette période.
La période mérovingienne est représentée par un seul ensemble de vestiges, à la limite sud de l’emprise. Ces ves- tiges correspondent aux fondations d’un bâtiment en matériaux périssables, construit à la fois sur poteaux plantés et sur petites tranchées de fondations (sablières basses ?). Une structure rectangulaire (cabane excavée ?) vient recou- per l’ensemble, tout en gardant l’orientation générale. L’attribution de ces structures à l’époque mérovingienne, bien qu’elle se fonde sur un nombre restreint de fragments de céramique, permet d’envisager une datation haute : dans le courant de la deuxième moitié du 6ème siècle au plus tôt, au début du 7ème siècle au plus tard. Malgré le caractère lacunaire de l’observation, l’existence de structures d’habitat sur le ban de la commune apporte de nouvelles données dans le contexte archéologique micro-régional. Elle permet de faire le lien avec la nécropole fouillée en 2010 au lieu- dit « Sandgrube », distante d’environ 400 m et dont la datation est établie autour des 6ème – 7ème siècles.
Voir la vidéo : Odratzheim, une nécropole mérovingienne.